Tita Seri, le grain et mon ange gardien

Dans Altitude un billet écrit par Christine le 28 avril 2023

Une randonnée de deux jours dans les Alpes valaisannes conjuguant plaisir du ski et photographie, l’aventure promettait d’être belle. Sauf qu’en altitude, l’imprévu n’est jamais très loin de la spatule.

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J’avoue avoir un peu hésité à m’inscrire à cette excursion. Pressentiment, appréhension, je ne saurais le dire. Si certains écoutent d’emblée ce que leur chuchote leur sagesse intérieure et renoncent aussi vite à leur projet, d’autres, dont je suis, savent d’expérience que sortir de sa zone de confort demande souvent un petit « coup de pied aux fesses », sinon on ne fait jamais rien (tout risque mesuré bien entendu).

En l’occurrence, cette course n’était pas difficile. La perspective de découvrir le massif des Muverans que je ne connaissais pas et de retrouver une partie de l’équipe et le guide avec lesquels j’avais fait l’ascension du Bishorn en juillet dernier me plaisait bien. Et surtout mon fils préféré avait décidé de m’accompagner, ce qui m’incita définitivement à me lancer.

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En ce samedi de fin février, tout commence bien

La météo s’annonce clémente et je me sens plutôt en forme avec plusieurs sorties « en peaux » à mon compteur au cours des dernières semaines. Après avoir retrouvé mes camarades et gagné les hauts de la station d’Ovronnaz, nous quittons les pistes balisées et profitons un instant du panorama. Face à nous au pied des sommets ceints d’épaisses fumerolles, des pentes recouvertes d’une neige vierge de toute trace ondulent voluptueusement. D’avance, les plus hardis d’entre nous ne pensent plus qu’à la signature qu’ils vont tout bientôt imprimer dans cette poudre immaculée. Je m’en soucie bien peu car à vrai dire, la descente n’est pas ce que je préfère en rando. Pour l’heure, je suis d’avantage absorbée par la photo. De manière très spontanée, c’est en noir et blanc que j’ai envie d’exprimer cet environnement montagneux sauvage. Je ne veux toutefois pas d’un noir et blanc lambda mais cherche un noir bouché et un blanc rugueux, un peu sale, comme on dit dans le jargon des photographes, avec du grain.

Du grain? Comme celui qui parfois enraye la machine et la fait déraper?

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Mais je m’égare. Jusque là, tout va bien. Au fur et à mesure des dénivelés qui s’accumulent, le rythme cardiaque s’accélère, le souffle s’épaissit, je m’enivre de ces moments d’effort et de plaisir conjugués. La mémoire et la carte sd qui va avec se remplissent peu à peu des souvenirs privilégiés que je partage avec mon fils et mes compagnons.

Et comme à chaque fois en atteignant un col, la même émotion m’étreint lorsque d’un côté, je contemple la vue majestueuse qui s’offre à mes yeux et de l’autre, je mesure avec satisfaction le parcours accompli jusque là.

Fenestral, une fenêtre sur les Alpes

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Nous passons la nuit à la Cabane de Fenestral, une petite nouvelle à mon palmarès des refuges de montagne. Considérée par certains comme l’une des cinq cabanes les plus spectaculaires de Suisse, elle jouit à 2’453 m. d’une situation privilégiée entre deux sites remarquables, le massif des Muverans et celui des Dents de Morcles. Cerise sur le gâteau, la vue sur le massif du Mont-Blanc est magnifique. A l’origine, il y avait là un baraquement militaire construit par l’armée durant la guerre 1914-1918. Le bâtiment actuel inauguré en 2015, est le 3ème édifié sur ses fondations. Il offre à la quarantaine de randonneurs qu’il peut accueillir tout le confort auquel ils aspirent aujourd’hui (intimité, vraies toilettes et cuisine équipée).

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En hiver, la cabane n’est pas gardiennée mais reste ouverte. Du bois et des boissons (n’oubliez pas de payer votre coca ;-)) sont à disposition. En principe, il y a de l’eau mais ce n’est pas le cas lors de notre passage. Nous devons ramasser de la neige et la faire fondre pour pouvoir faire la vaisselle et rincer les wc (qui commencent à sérieusement empester, les hôtes précédents ne s’étant pas donné cette peine!). Cette situation ne manque pas de nous interpeler. Pourquoi n’avoir pas prévu des toilettes sèches au moment de la rénovation ? Avec les sécheresses récurrentes que l’on connaît désormais, la situation risque de devenir critique en été, d’autant plus qu’il n’y a pas de névé à proximité à la belle saison. Ceci dit, nous sommes chanceux, ce soir-là nous ne sommes que 9 à dormir dans le refuge, c’est du grand luxe!

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L’aube du 2ème jour est pleine de promesses mais…

Après un petit déjeuner face à un panorama de rêve, nous quittons le refuge confiants, le ciel est encore bien dégagé. Nous ne chaussons pas immédiatement nos skis mais les fixons sur notre sac à dos pour franchir un passage délicat. Je ne sais pas encore ce qui m’attend mais ne tarde pas à déchanter. La traversée à flanc de coteau dans la caillasse gelée me stresse. C’est raide et ça glisse. Je me concentre en m’accrochant à mes bâtons et en fixant mes pieds sans oser lever les yeux de peur de trébucher et d’avoir le vertige. Finalement je mets ma fierté dans ma poche et accepte la proposition de mon guide de me sécuriser avec une corde. Je pousse un gros soupir de soulagement lorsque je retrouve enfin la poudreuse et rechausse mes skis pour aborder un plateau vallonné beaucoup plus reposant.

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A 10h. tout se gâte

Le ciel se fâche. Le vent ébouriffe les montagnes alentour, les nuages grignotent de plus en plus l’objectif de notre rando, la Grande Dent de Morcles qui nous toise du haut de ses 2’969 m. Le service météo de l’aéroport de Genève contacté par notre guide n’annonce rien de bon. Ce dernier juge plus prudent de renoncer à l’ascension des 300 derniers mètres, au grand dam des costauds du groupe qui rêvent d’épingler un nouveau sommet à leur tableau des records. Silencieusement je m’en félicite, je ne m’imagine pas du tout crapahuter dans la poudre à l’aveugle. En lieu et place, nous bifurquons sur Tita Seri, pour ensuite prendre la direction de la station d’Ovronnaz.

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A 11 h. Tita Seri et le grain

Tita Seri, quel drôle de nom! Je ne l’avais jamais entendu mais je ne suis pas prête de l’oublier. Cette pointe, qui en patois valaisan signifie tête et sérac, est la « soeur » de la Tête Noire voisine. Cependant, je suis sûre que c’est une usurpatrice et que c’est elle qui est noire, noire et funeste.

Car là, juste au dessous de son élégante silhouette, dans l’une de ces pentes immaculées qui, la veille, faisaient tant saliver les mecs de l’équipe, se tapit sournoisement le grain. Vous vous rappelez du grain? Pas celui de mes photos en noir bouché et en blanc sale, non l’autre, celui auquel on préfère ne pas penser mais qui finit fatalement par réapparaître quand on s’y attend le moins. Les gars se lancent tout heureux dans la descente en zigzagant gracieusement. Je les suis prudemment mais soudain de manière incompréhensible, je rate mon virage. Un de mes skis se plante dans la neige et tout mon corps vrille autour de ma pauvre cheville gauche qui n’apprécie pas du tout l’exercice. La chute est mauvaise. Je me relève péniblement mais je sais déjà que je n’arriverai pas à redescendre par moi-même jusqu’aux pistes balisées, encore moins jusqu’à la station beaucoup trop éloignée. Bien malgré moi, je vais avoir droit à mon baptême d’hélicoptère.

Ouf, à ce stade, vous croyez, comme moi l’affaire réglée, merci Air Glacier!

C’est sans compter la puissance du grain et de son double, la tempête, qui arrive dare dare en renfort. Même la technologie la plus pointue ne peut rien contre cette équipe de choc. 30 minutes après notre appel, la machine est là, tout près. Son rotor lacère bruyamment le brouillard mais l’épaisse purée résiste. L’hélico, tout comme nous, est aveugle et invisible. La boule au ventre, je l’entends tourner encore et encore, il est tout près, comme dans les films, il va surgir tous feux allumés face à moi, j’y crois, c’est pas possible qu’il ne nous trouve pas… Mais peu à peu le bruit diminue puis finalement plus rien.

Mon ange gardien

Quelle galère, c’est vraiment l’endroit et le moment où il ne fallait pas tomber! Nous n’avons pas le choix, il faut absolument quitter ce versant escarpé et rejoindre une zone moins bouchée où les sauveteurs pourrons nous localiser et me prendre en charge. Avec ma cheville en compote, je suis incapable de skier et la pente est trop forte pour m’asseoir et glisser sur mes spatules. Dans une situation aussi compliquée, la présence à ses côtés d’un guide de haute montagne expérimenté s’apparente à celle d’un véritable ange gardien. Après diverses tentatives qui ne réussissent qu’à me faire paniquer, Jérôme se résout à me passer une corde sous les aisselles. Il va d’abord me laisser glisser devant lui et me retenir pour que je ne dévale pas dans les rochers en aval, puis me traîner dans la neige. Etrange et morbide attelage qui laboure le flanc blanc de la montagne sur quelque 300 mètres aussi éprouvants qu’interminables. Malgré la neige et le brouillard, l’hélicoptère parviendra finalement à nous repérer et à me conduire trempée et frigorifiée à l’hôpital où une fracture de la malléole externe sera diagnostiquée. Je serai opérée dix jours plus tard.

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Par la suite, j’ai appris que les sauveteurs d’Air Glacier ont remercié mon guide de son initiative sans laquelle ont-ils dit, « ils y seraient encore« . Je n’ose même pas imaginer ce que ça aurait pu être.

Merci infiniment Jérôme!

Avec le recul, c’est cette photo (un peu étrange mais brute de capteur) de Jérôme prise la veille de l’accident à la Cabane de Fenestral que je préfère.

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12 Responses to “Tita Seri, le grain et mon ange gardien”

  1. Déborah dit :

    Les photos sont tout autant spectaculaires que ton épopée et ton écriture tout aussi sensationnelle que ton courage. Merci pour le partage. Mes remerciements vont aussi à Jérôme qui non seulement d’être un super guide est également une personne bienveillante qui a même sacrifié sa veste pour que tu restes au chaud =)

    • Christine dit :

      Tu me fais rougir ma fille Je ne crois pas avoir été spécialement courageuse, dans ce genre de situation, on doit s’en remettre aux autres pour s’en sortir. Et j’ai eu la chance d’être très bien entourée.

  2. Laurent dit :

    Eh bien, quelle aventure ! Ça fait ensuite des histoires à raconter, mais on s’en passe tout de même généralement assez bien 😉

  3. Christine dit :

    wow! quelle épopée! et bravo Jerome pour sa débrouillardise et bravo à toi pour ton courage et merci pour ces belles, non superbes photos qui me régalent, moi qui ne pourra jamais aller dans ces endroits qui me font quand même rêver

  4. Anne dit :

    Oui, il veillait sur toi. Heureusement que tu es là pour raconter tout cela. Ce n’est pas le genre de lieu où je me risque, je ne sais pas skier de toute façon, et ma dernière tentative en snowboard s’est soldée par une fracture du poignet. J’ai alors décidé que j’étais trop vieille pour ça. J’espère que tu n’auras pas de séquelles.

    • Christine dit :

      Les fractures du poignet en snow board, c’est courant hélas 🙁 Je ne sais pas si j’aurai le courage de refaire ce genre de sortie à l’avenir, je me suis quand même fait bien peur!

  5. Odile Barrett dit :

    Quel Périple!!!!!
    Merci pour ces superbes photos et pour ton récit. Tout cela m’inspire l’humilité et le respect pour cette montagne et tout ces éléments naturels qui peuvent nous surprendre à tout instants.
    Belle plume.
    Merci Christine

    • Christine dit :

      C’était sensé être une sortie mère-fils assez tranquille mais le sort en a décidé autrement hélas. Tu as 100 fois raison, Odile, respect et humilité en montagne sont des maîtres-mots. Merci d’avoir laissé quelques mots ici, ça me fait vraiment plaisir:-)

  6. Hello Christine,
    Merci pour ce magnifique reportage, porté aussi bien par l’image que par le texte.
    Dès le début, le noir-blanc fait planer un certain suspense: je m’attends un peu à ce que l’expédition en voie de toutes les couleurs. Ce qui se vérifie par la suite…
    Quant au grain (de folie), c’est un comble pour une photographe, qui a néanmoins le pouvoir d’en faire une grain de beauté.
    Magnifique!

    • Christine dit :

      Salut Michel,
      La vie est un vrai roman, elle nous réserve sans cesse des surprises et n’est pas avare de rebondissements. Alors autant en profiter pour la mettre en mots et en photos non 😉 ? Merci et à bientôt

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