Dans Altitude un billet écrit par Christine le 3 mars 2022
Au début du mois de février, entre la Chandeleur et le mercredi des Cendres, ne vous hasardez pas à la nuit tombée dans les ruelles des villages du Lötschental. Vous n’êtes pas à l’abri de créatures sauvages horriblement grimaçantes qui vous ficheront assurément une trouille bleue…
Une orthographe pas possible, un nom difficile à prononcer, mais qu’est-ce donc que ce truc?
Tschäggättä (prononcez: tchèguètè) nom, féminin dans le patois impénétrable du Haut-Valais, désigne les figures masquées devenues les emblèmes de la vallée du Lötschen ; il désignerait un animal à la peau tachetée ou une vilaine sorcière.
Des origines incertaines
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A l’époque et jusque dans les années 1950, ça swinguait drôlement là-haut pendant la période du carnaval. Dès le Jeudi gras, des silhouettes gigantesques avec des tronches de cauchemar, bouches édentées ou crocs acérés, yeux exorbités, crinières bestiales, sortaient de manière imprévisible de leur repaire. Elles faisaient un boucan du diable, effrayaient et bousculaient les malheureux qui se trouvaient sur leur passage, surtout ceux qui n’étaient pas masqués. Les jeunes femmes célibataires constituaient leurs cibles favorites. Elles n’hésitaient pas à faire irruption chez elles pour les mâchurer de suie avec leurs gants passés dans la cheminée. En voila une drôle de façon de se comporter avec les dames !
Brigands déguisés, protestation contre la politique, défi aux morts, coutume pré-matrimoniale, les origines de cette mascarade restent encore bien mystérieuses. Il y a quelque chose d’archaïque et de païen dans ces usages dans lesquels les premiers ethnologues ont cru voir la survivance de rites très anciens. Il n’en existe toutefois aucune preuve concrète et entre légendes et croyances, on y perd son latin. Impossible donc de déterminer d’où vient cette nouba-là. Ce que l’on peut retenir, c’est que les plus anciens masques ne sont pas antérieurs à 1865 et que ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que l’on entend parler pour la première fois de cette coutume locale liée au carnaval. La tradition n’est peut-être pas aussi ancienne qu’on veut le croire.
Dès les années 1960, fini les débordements et la sauvagerie. Autorités politiques et religieuses y mettent le holà , histoire de ne pas épouvanter le tourisme naissant. Les créatures velues sont canalisées dans des cortèges, la neige remplace la suie. Les Tschäggättä s’assagissent et font moins peur mais n’allez pas croire qu’elles ont été totalement domptées. Grâce au tourisme alpin et à la curiosité des visiteurs, la tradition n’a jamais été aussi vivace qu’aujourd’hui et les créatures carnavalesques ont plus d’un tour sous leur moumoute. Elles continuent de surgir de manière totalement spontanées au coin d’un mayen, de jeter dans la neige et de savonner tous ceux qui ont l’audace de croiser leur chemin. Dans le Haut-Valais, le carnaval reste non organisé. La procession de Tschäggätä du jeudi gras et la mascarade de Wiler (lors de laquelle j’ai pris les photos illustrant cet article) sont les deux seules occasions de les observer en groupe durant un défilé. A noter que cette année, en raison de la pandémie, il n’y a pas eu à proprement parler de parade de l’ampleur de celle qui a cours en temps normal.
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« Un costume qui pèse son poids »
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Silhouette imposante aux épaules rehaussées, peaux lavées et peignées, masques en bois aux traits grimaçants, les Tschäggättä serrent autour de leur taille une ceinture ornée d’une cloche, la « trichla ». Elles portent des gants de laine retournés et entourent leurs jambes et chaussures de toile de jute. Divers accessoires, comme une seringue de bois, un sac de cendres, un gourdin peuvent compléter leur déguisement.
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A l’origine, ce costume était réservé uniquement aux hommes jeunes et célibataires. Pour éviter d’être reconnus – ce qui constitue un déshonneur suprême – ils recourent à plusieurs stratagèmes. Durant le carnaval, ils changent constamment de tenue et de masque. A l’issue de celui-ci, ils les cachent soigneusement dans les écuries et les granges jusqu’à l’année suivante. C’est également pour préserver leur anonymat que les Tschäggättä ne parlent jamais. Tout au plus grognent-elles comme des animaux. Et elles se déplacent essentiellement en sautillant, histoire de ne pas être trahis par leur démarche.
Aujourd’hui, tout le monde peut se déguiser en Tschäggättä. Mais attention, ce costume est tout sauf confortable. On ne voit presque rien à travers le masque qui entrave la respiration et les peaux et la cloche pèsent environ 10 kg. Courir à travers les villages avec un tel accoutrement nécessite une sacrée condition physique!
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Les masques ne représentent que des figures humaines, les têtes d’animaux sont mal vues. Sculptés dans de l’Arole, ils sont peints et peuvent être agrémentés de dents de vache. Avec le temps leur esthétique a été marquée par des inspirations venues d’autres pays, voire continents, puis par l’imaginaire contemporain issu du hard-rock, de bandes dessinées, de films d’horreur ou de science-fiction. La vallée compte encore aujourd’hui une trentaine de sculpteurs de masques qui se transmettent leur savoir-faire de génération en génération.
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Maintenant que vous savez tout ou presque sur ces Tschäggättä, j’ai envie de partager avec vous une vision plus personnelle de ces créatures.
J’ai cherché une traduction moins littérale de ces masques figés dans la grimace. Par la magie du mouvement de mon appareil, j’ai voulu leur conférer une dimension plus mystérieuse, une énergie qui les font vibrer…
N’avez-vous pas l’impression qu’elles vont se mettre à bouger sur votre écran?
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Elles me sont familières depuis l’enfance, mais je n’ai jamais pu réfréner ma peur… Elles participent d’une peur ancestrale, viscérale… Bravo pour ton interprétation « vibrante » absolument dans le ton de la mascarade!
Comme je comprends ta peur Gine. Et si cette peur remonte à l’enfance, elle doit être d’autant plus forte. Merci d’avoir pris la peine de laisser quelques mots ici et je suis ravie que mon interprétation personnelle de ces masques t’ait convaincue. A bientôt
Je ne connaissais pas les Tschäggättä mais ils m’ont un peu fait penser à ces costumes qui sont portés en Slovénie et d’autres pays de l’Europe Centrale à l’arrivée du printemps. Je n’ai plus leur nom, mais tu pourras en voir sur le compte Instagram de « feelslovenia », un exemple : https://www.instagram.com/p/CaW1Pq8onaE/. 🙂
Effectivement, le folklore européen est riche de diverses figures carnavalesques. Celles de Slovénie, dont j’avais déjà vu des images, sont très impressionnantes également. En Suisse, il en existe d’autres, notamment dans le Val d’Herens. Elles sont très différentes mais tout aussi monstrueuses. Merci de ta visite et à la prochaine
Ah! c’est donc ça l’ivresse du Carnaval : de solides gueules de bois!
Et on peut dire qu’elles ont de la gueule, tes gueules de bois!
Magnifique!
Hé hé voila un commentaire qui ne me laisse pas de bois 😉 Merci Michel!
Bonjour Christine,
Wow, étonnant ces costumes et cette tradition ! Toujours aussi fascinant tes partages, on apprend des traditions étonnantes sur les folklores étrangères. Et ta vision sur ces costumes est tout à fait réussi. Bravo !
Hello Anne,
Cela faisait quelques temps déjà que je voulais voire ces créatures de près. La pandémie a retardé mon rendez-vous avec elles car ces deux dernières années, le carnaval a été annulé. Même si cette année, le défilé était réduit, j’étais ravie de pouvoir enfin faire leur connaissance. D’autres régions en Suisse ont également des figures carnavalesques typiques, de quoi m’occuper encore plusieurs fois pendant les hivers prochains. Merci pour ta visite ici et ton commentaire et à bientôt.