Chroniques de l’Occident nomade

Dans Lis voir un billet écrit par Christine le 21 novembre 2011

Un voyage en train, une parenthèse hors du temps, hors de mon quotidien habituellement motorisé.
Un livre.
De temps en temps, j’oblige mes yeux, ma tête à prendre une respiration. Mon regard s’échappe du wagon à travers la vitre sale, il glisse sur le paysage qui défile. Ma rétine imprime des traînées de vitesse mais mon esprit ne saisit rien du tableau un peu flou, tout imbibé qu’il est des mots, de la résonance musicale et de la poésie des phrases qui transpirent de ce récit atypique.

Un récit de voyage certes, mais si différent dans sa construction, son style, sa narration. En une dizaine de chroniques  de quelques pages, une jeune femme qui, de 15 à 23 ans a silloné le globe deux à trois mois par an, seule, sac au dos, jette sur le papier ses anecdotes, ses réflexions sur le nomadisme, sur la philosophie du voyage. Le désordre n’est qu’apparent. L’auteure ne livre pas un texte linéaire, chronologique ou géographique mais procède par association d’idées. D’une plume personnelle et ciselée, elle dit sa volonté de raconter le monde dans sa discontinuité, mettant en regard ses émotions, ses états d’esprits dans les différents lieux visités. Les phrases sont courtes, les images sensorielles. Comme nulle autre, elle sait brouiller les pistes et conduire en quelques lignes le lecteur de Brisbane à Dehli, sans toutefois que le fil de son récit ne se perde, ne se brise. Elle réussit à transcrire avec bonheur son émerveillement devant des villes désertées, des atmosphères crépusculaires… La sensualité de son écriture est telle que  lorsqu’elle parle du thé qu’elle boit avec sa tarte aux cerises un dimanche d’automne pluvieux à Cracovie, on entend tout comme elle la valse lente, mélancolique d’ in the mood for love.

Plutôt que de longues et fastidieuses descriptions des lieux traversés (Europe, Inde, Australie, Syrie ou Burkina Faso), elle nous fait partager ses voyages intérieurs, les rencontres, amicales ou plus intimes, qui ont jalonné son parcours. La voyageuse-écrivaine fait la part belle aux émotions et aux sentiments, n’hésitant pas à évoquer avec une grande liberté de ton les nombreux amants qui ont émaillés sa géographie du coeur. Enfin et surtout, il y a chez celle qui se décrit comme étant « désespérément un être de langage » une conscience, un amour du verbe qui enchante. Les noms des villes aux consonances étrangères l’émeuvent avant même de les connaître et sont prétextes à moulte rêveries.  Elle décortique certains mots et se repait de leur signification intrinsèque, comme le mot ravissement dont elle n’aime « pas sa sonorité, son côté rêche et benêt, son étendue. Mais j’aime sa double acception: ravi du temps, enlevé à l’instant présent, et par voie de fait ravi, heureux, ébaubi de beauté. “Le jeu nous ravit” avait dit un professeur de philosophie aux mains maigres, et il m’avait ainsi fait éprouver pour la première fois l’étrange polysémie du terme. Il y a ici quelque chose de l’ordre de Rimbaud, de Dante, de Claudel, quelque chose de la beauté par l’absence. Et une des manières de rapprocher la lecture du voyage est encore cette absence. (..) « 

Avec Aude Seigne, j’ai découvert qu’il existe désormais un Occident nomade, pour qui prime l’abandon vers l’ailleurs, le désir de vide, la pure liberté… Et depuis lors, moi aussi j’ai envie d’y goûter!

Née le 14 février 1985 à Genève,  Aude Seigne s’est vue décerner pour « Les Chroniques de l’Occident nomade » le Prix Nicolas Bouvier 2011. Un grand merci à Jeanne qui, grâce à un commentaire sur l’un de mes billets, m’a fait découvrir cette jeune et prometteuse auteure romande.

Back to Main Content

20 Responses to “Chroniques de l’Occident nomade”

  1. AniLouve dit :

    Tes images illustrent à merveille ton billet et ton billet donne envie de voyager avec cette auteure, les images, moins ! On s’imagine toujours voyager sous le soleil et moins dans la grisaille.
    Attention, je trouve les photos superbes.

  2. Anonymous dit :

    Je suis admirative devant ces photos, elles me donnent envie de refaire mes valises et a nouveau partir a la conquete de nouveaux horizons…le livre a l air genial dommage que je n ai plus le temps de lire des livres sympas…

  3. Spiruline dit :

    @AniLouve: tu sais, d’habitude je pars de mes photo pour rédiger un texte. Ici, j’ai pour une fois fait la démarche inverse. En lisant ce bouquin, je savais que j’allais en parler et qu’il me faudrait l’illustrer, ce qui de prime abord n’était pas tout à fait évident. Aude Seigne s’étant distancée des traditionnelles chroniques du genre, j’ai cherché à éviter les photos de voyage 1er degré soleil et ciel d’azur pour essayer de davantage traduire la notion de voyage intérieur, un peu flou, en demi-teintes. Il m’a semblé que l’imperfection des photos prises en fin de journée avec mon Ipad lors d’un déplacement en train correspondait assez à cet état d’esprit. Ceci dit, j’admets tout à fait que ces photos sont assez mélancoliques. En tous cas, merci de m’avoir donné ton point de vue qui m’a permis de préciser ma démarche.

    @Anonyme: il y a un temps pour tout, fillette! Tu viendras à ce genre de littérature,j’en suis sûre 🙂

  4. Marie dit :

    Merci pour cette parenthèse agréablement illustrée. Les teintes de tes photos, tes mots, cette musique que j’adore (mon univers musical en ce moment)… font que j’ai envie de me plonger dans ce récit de voyage « intérieur ».

  5. Isa dit :

    De l’évasion, encore de l’évasion, ton billet me donne trés envie de découvrir Aude …

  6. Jeanne dit :

    Quelle surprise à la découverte de ce billet dont le titre m’a immédiatement ramenée au texte que j’avais tant aimé! Ton texte est magnifiquement écrit et il retranscrit si bien ce qu’on peut ressentir et découvrir à la lecture de ce récit. C’est un immense bonheur de me le remémorer à travers tes mots et grâce à ces photos, dont j’aime tant la texture et la forme de présence en creux. Il me semble qu’on est très proche de ce que décrit Aude Seigne à propos du ravissement. Un grand merci pour ce prolongement de voyage!

  7. Lolotte dit :

    C’est une belle critique que tu as écrite … entre tes photos et ce livre, ça me donne des fourmis dans les jambes !

  8. Céline dit :

    J’aime bien tes photos floues (avec un post-traitement bien fait je suppose) et je pense que je vais lire ces Chroniques sans tarder.
    Bonne soirée

  9. Bruno dit :

    Moi le temps me manque pour lire tout cela!!
    Bon en plus tu le sais déjà..je lis peu!! Très peu!!
    Je pense que quand je serai un peu plus vieux je serai un lecteur assidu devant ma cheminée ou plutôt mon poêle!! ( ben oui je veux pas une cheminée!!)
    ..mes derniers livres..heu…toutes la série Potter!! Quand j’étais en convalescence…
    😉

  10. Je n’aime pas trop, en arrivant sur les blogs, les « critiques » ou commentaires sur les bouquins ou films, mais bon, là, je me suis laissée entraîner par ton récit;-)) J’aime beaucoup ton choix pour les photos et ma foi, j’ai bien envie d’aller découvrir cette jeune écrivaine! Bises°

  11. evelyne dubos dit :

    Forcément le thème me tente… mais j’avoue que je lis peu de livres… surtout des revues…
    J’aime beaucoup la 1ère photo… 🙂

  12. Laurence dit :

    Encore un bouquin à ajouter à ma liste des envies ! C’est malin, ça, Spiruline 🙂 En tout cas, la première image pourrait parfaitement faire la couverture d’après ce que tu nous décrit de cette auteure

  13. Spiruline dit :

    @Tous: Je suis vraiment heureuse que ces quelques lignes vous donnent envie de lire ce bouquin. Comme plusieurs d’entre vous, je n’ai pas vraiment le temps de lire, en tous cas pas autant que je le souhaiterais mais ces chroniques sont brèves, 133 pages subdivisées en plusieurs chapitres très courts, ce qui permet d’en morceler la lecture sans aucun problème. Trois pages avant de s’endormir, c’est parfait 😉 Quant aux photos, l’application Hipstamatic de mon Ipad et la vitesse du train leur confèrent ce rendu particulier qui n’a pas nécessité de réel post traitement. Seule la première est une superposition de deux images différente.

    @Bruno:le style d’Aude Seigne est peut être magique aux yeux de certains mais c’est sûr que ce n’est pas H. Potter 😉

  14. CushmoK dit :

    très belle évocation impressionniste… j’aime tout particulièrement la gamme chromatique…

  15. Aurore dit :

    Oui ce post donne envie de lire Aude Seigne, merci à toi. Et j’aime bien cette idée de Bouvier que le quotidien et l’ordinaire n’existent pas. Que si l’on y regarde bien, le voyage est au coin de la rue.

  16. Peggy M dit :

    Comme toujours tu sais mettre l’image sur les mots et ici, ta présentation enchante.
    Une magnifique mise en lumière de cette personne et de son univers. Tu sais faire vivre les choses au point de les ressentir bien avant de les découvrir concrètement.

  17. jean luc dit :

    J’aime beaucoup l’évocation que tu fais de cet ouvrage, et de la façon dont tu l’as agrémenté d’images qui nous installent complètement dans le compartiment.
    Arrivant à peine d’une dizaine de jours en bateau, tu me donnes déjà envie de repartir… en train…
    MMMM un transsibérien en hiver , avec un arrêt sur le Baïkal gelé…
    Tu viens ? tu écriras et moi je fais les photos ok ?…Et puis non, finalement je fais mon dissident , tu fais les 2 , et moi je me réchauffe à la Vodka en évoquant Soljenitsyne…!
    Arfff je crois que définitivement , je ne suis pas fait pour travailler , mais pour voyager…(sigh)
    Bises bises et bon week end

  18. Il y a tellement à photographie constamment les horizon sont nombreux la preuve sur cette prise de vue filante.

  19. Caro dit :

    Encore de très belles images, poétiques et mystérieuses… j’aime particulièrement la première qui illustre à merveille l’idée que je me suis faite de ce livre de nouvelles. Comme j’aurais aimé être cette jeune femme sur le quai, prête à découvrir le monde!

  20. Marie dit :

    Je note le nom de l’auteur…
    J’aime ta série…
    J’adore In the mood for love, que je me suis revu récemment… (si je filmais, je voudrais le faire de cette manière là)
    Bon dimanche.

Répondre à CushmoK Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Please fix your errors.

Partagez

Back to Main Content