Des aigles et des hommes (et une jeune fille aussi)

Dans Mongolie un billet écrit par Christine le 23 avril 2017

 

Ce 2ème chapitre de mon carnet mongol aurait dû nous conduire à travers les steppes enneigées jusqu’au rives d’un lac proche de la frontière sibérienne mais c’était sans compter l’actualité de ma ville qui, à mon retour de voyage, m’a fait une sacrée surprise. Elle était tellement incroyable que j’ai eu envie de la partager avec vous sans attendre.

Mais avant de vous en dire plus, commençons par le commencement. Je vous emmène à la rencontre des aigliers, Mongols d’origine Kazakh qui perpétuent une tradition millénaire

 

Les maîtres des aigles

A l’extrême ouest de la Mongolie, à 4 heures d’avion d’Oulan Bator, l’Altaï, ses hauts sommets enneigés, ses lacs cristallins et ses vallées luxuriantes. C’est dans ce far-west mongol que vivent les Kazakhs. A la différence des autres ethnies du pays majoritairement bouddhistes, ils sont musulmans et parlent la langue du Kazakhstan. Leurs traditions et même leur gestuelle font d’eux une population à part en Mongolie. Mais surtout, ils ont hérité de leurs ancêtres du Turkestan l’art très particulier de la chasse avec des aigles et sont devenus maîtres dans l’art de dresser ce prédateur sauvage. Au fil des siècles, ces pasteurs nomades ont appris à connaître le caractère et les moeurs de ce magnifique oiseau jusqu’à le dompter et à le faire vivre au sein de leurs familles sous la yourte.

 

 

Le tomaga, petit capuchon de cuir placé sur les yeux de l’aigle , le préserve de toute l’agitation qui règne autour de lui. Il n’est en principe enlevé que pour manger ou repérer une proie lors de la chasse ou des exercices

Certains capturent des aigles sauvages adultes à l’aide d’un filet mais en général les chasseurs recherchent plutôt des jeunes qu’ils enlèvent du nid à l’âge de deux mois avant leur premier vol. Ils préfèrent les femelles pour leur agressivité et leur envergure qui peut atteindre 2,20 mètres. Ils nourrissent quotidiennement l’aiglon avec de la viande crue, car s’il apprend à se nourrir seul, il redeviendra sauvage et fuira les hommes. Le jeune rapace apprend peu à peu à rester en équilibre sur le bras de son maître et à réagir à ses appels. L’entraînement se poursuit avec une peau de marmotte ou de renard que l’on traîne derrière un cheval pour simuler la proie en mouvement. Si l’aigle réussit à l’attraper, la dépouille lui est offerte en guise de récompense.

En Mongolie, la chasse à l’aigle se pratique de septembre-octobre à janvier. Pendant cette période, les chasseurs tiennent leurs aigles affamés pour les rendre plus performants. Leur vision, huit fois supérieure à celle de l’homme, leur permet de repérer de très haut leurs proies (principalement des renards mais aussi des lièvres et des petits loups). Et lorsque le rapace s’élance à plus de 160 km/heure en piqué dans les montagnes à la poursuite de sa proie, le cavalier doit user de toute son expérience et se montrer très rapide pour le retrouver avant qu’il n’abîme la fourrure de sa victime ou que cette dernière ne le blesse en se défendant. La viandes est donnée à l’oiseau et les peaux sont revendues ou utilisées pour confectionner des vêtements.

Le festival des aigles

Chaque année, au début octobre, deux jours de joutes, de courses et de cavalcades infernales, réunissent les aigliers dans l’Altaï mais c’est à un autre festival, qui a lieu dans le Terelj près d’Oulan Bator, que j’ai assisté au début du mois de mars dernier. Cette manifestation est certes moins authentique que celle d’automne mais elle a cependant le mérite de donner un bon aperçu de cet art ancestral à ceux qui ne peuvent faire le déplacement jusque dans le lointain Altai. Pour l’occasion, les aigliers et leurs oiseaux ont fait deux jours de route dans des camions et c’est revêtus de leurs plus beaux atours que du haut d’une colline, ils lancent leurs aigles à la poursuite de leur proie. Tout au long de la journée, les chasseurs se livreront à divers exercices de chasse (tirs à l’arc, lutte à cheval  etc.) qui permettront de désigner le vainqueur. La tenue du cavalier, la manière dont son aigle est posé sur son bras et le harnachement du cheval seront également notés.

La jeune fille et son aigle

La rudesse du climat mongole (il peut faire jusqu’à -50°) et le relief très accidenté de l’Altai expliquent que l’art de la chasse ait traditionnellement été pratiqué exclusivement par des hommes. Les chevauchées dans la montagne pour traquer le gibier en hiver sont  dangereuses et pénibles pour les chasseurs qui portent de longues heures durant sur leur avant-bras un oiseau qui pèse tout de même de 8 à 10 kg. Aussi quelle fut ma surprise de voir au milieu de tous ces hommes une jeune fille. Tout de blanc vêtue,  un énorme aigle posé sur son bras droit, elle affichait à la fois beaucoup d’assurance et de sérénité. Intriguée, j’interrogeai mon guide qui me révéla qu’Ashiolpan Nurgaiv, 15 ans, est la première femme à avoir remporté une compétition de chasse avec son aigle. Depuis elle est devenue une vraie star et un modèle pour beaucoup de jeunes filles en Mongolie. J’ai bien évidemment été impressionnée par cette adolescente qui, tout au long de cette journée, a fait preuve de beaucoup de maîtrise et de calme avec son aigle mais ce n’est qu’à mon retour en Suisse que j’ai pris la mesure de son histoire.

Après le festival des aigles, le festival du film

Moins de trois semaines après mon retour de Mongolie se déroulait le festival international du film de Fribourg.  Ce festival a pour vocation de rendre accessibles au public des réalisations qui trouvent rarement ou pas du tout leur place dans le système de distribution traditionnel. De plus en plus intéressée par ce genre de films, j’ai découvert avec stupéfaction dans la presse que l‘édition de cette année s’ouvrait avec la projection  de « The Eagle Huntress«  un documentaire consacré au destin atypique d’Aisholpan Nurgaiv, première dresseuse d’aigle de Mongolie!

Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous a dit le poète… En voila un que je n’aurais manqué pour rien au monde!

J’ai assisté à l’ouverture du festival bien sûr et me suis laissée embarquer dans ce film aux images magnifiques. J’ai été touchée par la détermination (et la passion) de la jeune fille à vouloir, envers et contre tout, posséder et dresser son propre aigle mais je crois que je l’ai été davantage encore par son père. Résolument progressiste, il n’a pas hésité à défier ses pairs chasseurs et une tradition millénaire pour soutenir et aider sa fille à réaliser son rêve. Et ce n’est pas par défaut,  parce qu’il n’a pas de fils comme certains ont pu se l’imaginer. Il a un fils aîné qui est déjà un spécialiste du dressage des aigles.

A l’issue de la projection, j’ai eu le plaisir de pouvoir m’entretenir avec la jeune fille et son père qui ont fait le déplacement jusqu’à Fribourg et qui ont répondu avec beaucoup de gentillesse et de modestie à toutes mes questions. Et j’avoue avoir été réellement émotionnée de retrouver dans ma ville ces personnes rencontrées à l’autre bout du monde quelques semaines auparavant.

Enfin parce qu’ici on aime avant tout la photo et qu’il faut rendre à César (ou plutôt à Asher) ce qui lui appartient, j’ai encore envie de vous dire que le réalisateur britannique de ce documentaire en a eu l’idée après avoir vu les images d’Asher Svidensky. C’est ce photographe israélien qui le premier a découvert Ashiolpan et sa famille  dans le cadre d’un projet photo consacré à l’avenir de la chasse avec des aigles en Mongolie. N’hésitez pas à cliquer sur le lien pour découvrir ses magnifiques images et le récit de son projet. C’est passionnant!

 

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24 Responses to “Des aigles et des hommes (et une jeune fille aussi)”

  1. Cécile dit :

    Quel reportage intéressant, avec , de plus, ce lien inattendu offert par la vie: quel beau cadeau! J’ai d’autant plus savouré ton article que je suis allée il y a peu dans une Volerie près de chez moi qui recueille divers oiseaux et les fait travailler. Et il y a un aigle. Beau destin que celui de cette jeune fille qui a pu réaliser son rêve… Merci de ce partage et belle journée à toi.

    • Christine dit :

      Bonsoir Cécile,
      J’ai lu l’autre jour un auteur qui parlait de cadeau du réel. Cela va exactement dans le sens de ce que tu écris. Ce voyage m’en a réservé d’autres dont je vous reparlerai. Quant au travail avec les oiseaux il est fascinant et demande beaucoup de doigté et d’expérience. Malgré tout, il y a certains aspects qui personnellement me dérangent. Je ne l’ai pas dit mais cela ressort du film. Les Kazakhs ont pour coutume de relâcher leurs aigles à l’âge de 7 ans pour leur permettre de se reproduire. Je me suis posée la question de leur espérance de vie dans la nature après avoir passé toute leur existence aux côtés des hommes. Le père d’Ashiolpan m’a confirmé qu’il était extrêmement difficile pour ces oiseaux de survivre en liberté. Seuls les plus forts résistent… Cruel destin non?

  2. Chère Christine,
    J’ai un plaisir énorme à prendre connaissance de ton billet, ces images sont extraordinaires de force, de beauté et d’émotions : j’ai l’impression d’entendre le cri des aigles. J’ai vu un reportage à la RTS dernièrement sur cette jeune femme, son histoire et le soutien de son père, bravo à eux.
    Ma semaine commence bien, dans l’émerveillement. A bientôt, Françoise

    • Christine dit :

      Coucou Françoise,
      Ton enthousiasme me fait immensément plaisir, merci de tout coeur. Ce voyage en Mongolie a été extraordinaire à bien des égards et la rencontre avec les aigliers a été l’un des points forts de notre séjour. J’espère que la suite t’intéressera tout autant. Bonne soirée et à bientôt

  3. Cédric dit :

    Encore une très belle histoire superbement racontée aussi bien par les mots que les photos.
    D’ailleurs, même prises individuellement, tes photos racontent une histoire. Et ce que j’aime particulièrement dans ton « travail ».
    Bravo et encore merci pour ton partage.

    • Christine dit :

      Cette rencontre m’a profondément touchée et il me tenait à coeur de la partager en mots et en photos. Qu’elle t’ait intéressée me fait vraiment très plaisir. Merci Cédric pour tes compliments sur mes photos, je crois que je ne pouvais en espérer d’aussi beaux.

  4. Magnifique ! Très belle histoire de cette dresseuse d’aigle ! Tes photos sont sublimes comme d’habitude. La manière dont tu racontes ce festival est très prenante, les descriptions intéressantes. J’ai toujours du mal avec les animaux domestiqués, surtout avec le peu de temps où ils peuvent voir dans une journée. Je ne sais pas si c’est très embêtant pour l’animal, il faudrait peut-être l’avis d’un spécialiste du dressage de rapaces …

    • Christine dit :

      Je ne porte pas de jugement sur cette tradition ancestrale mais je partage ton sentiment Anne s’agissant de la vie de ces animaux domestiqués. Dans ma réponse à Cécile, j’ai décrit le sort réservé à ces aigles à l’âge de 7 ans. Cela me laisse comme un malaise….

  5. La beauté du paysage, la beauté des personnes et quelle belle rencontre ! Vos voyages comme vos photos sont vraiment extraordinaires, merci pour ces émotions visuelles partagées

    • Christine dit :

      C’est un pays vraiment très photogéniques. Les traditions, la culture, les gens, tout est passionnant. Quand on commence à découvrir le monde, on a qu’une envie, c’est d’en voir davantage encore 😉 Bonne soirée Mesdames.

  6. Marie dit :

    Bonjour Christine !
    Ton récit est passionnant comme d’habitude … tu as bien fait de consacrer un billet à cet événement. Les portraits sont magnifiques (c’est qu’ils ont beaucoup de prestance dans leurs habits de chasse ) … mais, c’est surtout l’histoire de cette jeune fille qui m’a interpellée et sa percée dans ce milieu principalement masculin.
    Quant aux quelques images du film, elles donnent envie d’en voir un peu plus … je vais rester attentive à la distribution près de chez moi, nous l
    avons une salle qui diffuse pas mal de films d’auteurs, nous aurons peut-être la chance de le voir dans la programmation

    • Christine dit :

      Bonsoir Marie,
      J’espère vraiment que tu pourras voir ce film qui nous transporte véritablement dans un autre monde. Je n’ai qu’une envie maintenant c’est de découvrir l’Altai…. Quand à l’histoire d’Ashiolan, c’était la cerise sur le gâteau. J’en suis encore toute ébahie 😉

  7. Isa dit :

    Bonjour Christine,
    quelle chance d’avoir assisté à ces scènes de chasse avec les aigles. C’est un sujet qui m’intéresse et je suis ravie de le découvrir dans ton blog. Les photos sont belles (la 2ème… !!) et je ne peux m’empêcher de penser au ressenti que tu as dû avoir au plus près de ces chasseurs mongols très élégants. J’avais vu le documentaire de Tim Noonan qui a voulu pratiquer le passage à l’âge adulte au travers ce rite : « Je serai un homme – Le peuple des aigles ».
    Concernant le film dont tu parles, il est en projection à Montpellier et il fait parti de ma liste des films à voir, j’ai hâte d’ailleurs. L’histoire de cette jeune fille est singulière.
    La chasse au vol m’intéresse en général. Il y a une grande complicité entre le maître et le rapace. Elle n’est pas beaucoup connue mais elle fait partie des chasses autorisées et pratiquées en France aussi (les rapaces sont plutôt des autours des palombes ou des faucons…)
    Merci Christine pour ce beau billet. A très bientôt !!

    • Christine dit :

      Bonsoir Isa,
      Je ne connaissais rien à la fauconnerie avant mon séjour en Mongolie et ai été fascinée par le travail et la complicité entre l’homme et l’oiseau. Après avoir vu ce festival, j’aimerais maintenant beaucoup voir leur collaboration dans la vie quotidienne et durant une vraie chasse. Une jour peut-être…. A bientôt et merci pour ta visite.

  8. Anne dit :

    Que d’émotions et de beauté à travers ces images! Oui, c’était un rendez-vous à ne pas rater… Merci pour le partage!

  9. Pastelle dit :

    Les photos sont toutes magnifiques, une par une et dans leur ensemble, et ton récit très émouvant.

    • Christine dit :

      Tu sais Pastelle, sur le moment, j’ai failli céder au découragement. Il y avait passablement de monde et beaucoup de photographes sur équipés de zoom monstrueux. Avec mon petit 12-40mm, je n’avais pas beaucoup de chance, d’autant moins que ces photographes fort peu courtois me bousculaient pour avoir les meilleurs points de vue. Heureusement en fin de journée, ils se sont faits moins nombreux (en raison du froid je pense), ce qui m’a laissé davantage d’opportunité pour prendre des photos. Bonne soirée à toi:-)

      • Pastelle dit :

        Tu sais Christine, avec des zooms monstrueux « tout le monde » ou presque peut faire des photos impressionnantes, mais des photos touchantes comme les tiennes, il n’y a que toi qui puisses les faire… N’aie surtout aucun regret. En plus ça pèse 3 tonnes et ça casse le dos ! Ca doit être pour ça qu’ils ne sont pas aimables ! 😉

  10. C’est un magnifique reportage que tu nous offres Christine, un énorme merci à toi pour ce retour en Mongolie. Je retrouve la douceur des lumières d’hiver et les yeux souriants des mongoles.

    • Christine dit :

      C’est un plaisir de te lire ici Céline. J’avoue que tes images de Mongolie ont aussi participé à mon envie de découvrir ce pays Je n’ai pas été déçue. Les contacts humains ont été fantastiques, les paysages sont splendides. Merci de ta visite et de ton commentaires très apprécié sur ce reportage.

  11. Laurence dit :

    Une fois de plus c’est passionnant … tu es en fait une reportrice talentueuse Christine, c’est comme si nous y étions … et me concernant, c’est surtout un moteur énorme à mon envie de voyage en Asie Centrale. Je t’avais dit que j’étais tombée par hasard sur un reportage en mongolie. Je l’ai pris en cours et je crois que c’était sur la 5 mais j’ai vainement cherché le replay …

  12. C’est magnifique! Quel bon récit 🙂

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