Dans Laponie un billet écrit par Christine le 27 janvier 2014
Depuis une heure, notre bateau avait quitté l’océan Atlantique pour pénétrer les eaux de la mer de Barents. Il naviguait désormais en direction de Kirkenes à l’extrême nord de la Norvège, tout proche de la frontière russe et de Mourmansk. Barents, Mourmansk, autant de noms qui nous renvoie 70 ans en arrière, lors des heures troubles de la seconde guerre mondiale quand ce bastion des sous-marins à missiles soviétiques résonnait des nombreuses opérations navales dont il était le théâtre. Seule à la proue du « Richard With« , je me prendrais presque pour une héroïne de roman d’espionnage sur fond de guerre froide. Sacrément emmitouflée dans ses sous-vêtements thermiques et sa doudoune l’héroïne car sur le pont, il fait un froid à ne pas mettre Matahari dehors. Mais le spectacle est tellement somptueux que je m’en voudrais de rester douillettement dans ma cabine. Il fait moins 20° mais la température ressentie est nettement inférieure. Enlever ses moufles pour prendre des photos, même en gardant ses sous-gants en soie, relève de l’exploit. Et sous l’effet du froid, pour la première fois, je vois la mer fumer.
C’est le brouillard de mer arctique (aussi appelé fumée de mer arctique) qui se forme lorsque la température de l’air est inférieure à -15 degrés Celsius. La couche superficielle d’eau, où la glace n’est pas encore formée, s’évapore et si le vent est faible ou nul, la vapeur d’eau est captive de l’inversion de température dans la basse couche d’air. Elle la sature rapidement, formant un brouillard givrant. Très rapidement, le bateau est enveloppé d’ouate et se met à naviguer plus ou moins à l’aveugle, le long des côtes rocheuses, actionnant à répétition sa corne de brume.
J’avoue ne pas avoir été très rassurée tant nous sommes passés près d’énormes rochers. Figurer au générique de Matahari, je veux bien mais de Titanic, non merci!
De chaque voyage, on retient une impression générale d’où se détachent quelques épisodes intenses dont on sait d’emblée que l’on gardera un souvenir éternel, une photo mentale à laquelle sont associées toutes les sensations qui nous ont traversés à cet instant. De ce périple en Scandinavie, je n’oublierai jamais la lumière si pure, les immenses étendues de neige, les forets de bouleaux et les innombrables lacs finlandais mais lorsque j’ai vu cette immense masse grise blanchir sous les coups de langue de la brume et finalement se figer sous l’effet du froid, j’ai ressenti une vraie grande émotion. C’est la gorge nouée que j’ai écouté le bateau rompre le silence ouaté dans lequel il voguait jusqu’alors, fendre de sa proue la mer devenue craquante et se transformer en brise-glace. Et je ne peux aujourd’hui m’empêcher de m’interroger sur les raisons de tant d’émotions. Outre la beauté du spectacle, ne serait-ce pas tout simplement la conscience de notre fragilité dans un environnement que malgré tous les progrès technologiques, on ne parviendra jamais à totalement maîtriser?
Notre croisière à bord de l’Express côtier s’est achevée à Kirkenes. C’est là que nous avons débarqué notre voiture pour poursuivre notre périple vers la Finlande. Mais je n’aimerais pas conclure sans dire encore un mot sur cette modeste ville portuaire dont le destin est en train de basculer en raison du réchauffement climatique. Ici, à l’extrême nord de la Norvège, le thermomètre descend en dessous de – 40 °C en hiver mais la fonte des glaces, en été, pourrait bientôt offrir à cette paisible bourgade de 5000 habitants le même rôle stratégique que Singapour. Non seulement elle est un point de passage obligé vers les immenses réserves de pétrole et de gaz enfouies sous le plancher de l’océan Arctique mais surtout la route du Nord-Est pourrait faire gagner aux navires entre 14 et 20 jours de mer, par rapport à celle du canal de Suez. Le temps de parcours Rotterdam-Yokohama pourrait être raccourci de 40%, ce qui représenterait une économie de 300 000 dollars par voyage. Pour l’heure, rares sont encore les navires qui s’y aventurent, toujours précédés d’un brise-glace, car armateurs et assureurs jugent encore la route du Nord dangereuse. Il y a toutefois fort à parier pour que l’on assiste d’ici dix ou vingt ans à la naissance d’une nouvelle autoroute maritime.
Quelle merveille cette mer qui fume. Bon, décidément, je ne dois pas me suffire de l’Islande. Merci pour ce partage tant photographique qu’émotionnel, c’est très touchant. Je viens quand même de vérifier si mon poêle en bois a bien repris, histoire de ne pas me retrouver en mode grand froid ce soir!! Je m’imaginais trop en Laponie, peut être… 😉
Maintenant l’Islande me tente bien je dois dire. 😉 Je crois sincèrement qu’une fois que l’on a pris goût au nord, on a très envie d’y retourner!
C’est glacialement superbe.
J’espère que tu as mis ton manteau et ton cache nez!
Bonjour Christine,
Tu me fais envie là.. vraiment. C’est étonnant pour un type qui vit dans le froid ou presque, mais ma grande envie c’est voir le nord extrême de l’Europe.
De cet article plaisant à lire, je retiens surtout ceci : « la conscience de notre fragilité dans un environnement que malgré tous les progrès technologiques, on ne parviendra jamais à totalement maîtriser? »
J’ai envie d’ajouter, ni totalement maîtriser, ni totalement détruire non plus. Je crois sincèrement que l’humanité devrait prendre conscience de sa fragilité. La nature, la Terre est plus forte, plus grande que l’humanité.
Bonne semaine
Tu as raison Dominique mais il ne faut pas négliger non plus le pouvoir de destruction assez phénoménal de cette même humanité. Je crois que bien davantage que les températures négatives, c’est cela qui me fait froid dans le dos.
Tu me connais, j’ai horreur du froid ! Mais là, sous ce soleil et face à cette mer qui gèle sous nos yeux, cette lumière extraordinaire, ça donne envie !!
Bien équipée, il n’y a aucun problème. On y va les deux ;-)?
Je n’avais jamais entendu parler de ce phénomène! Spectaculaire et terriblement impressionnant! Cette lumière est vraiment spéciale….
Je ne connaissais pas non plus et ai mis un moment avant de comprendre ce qui se passait…
Brrr… Bravo d’avoir bravé le froid ! C’est vrai que ce brouillard est étonnant est très beau. Moi qui rêve depuis quelques temps aux pays nordiques, voilà qui me conforte dans cette idée.
Je n’ai pas grand mérite et n’aimerais pas non plus vous faire croire que je suis partie en expédition polaire extrême. Si tu as une fois l’occasion d’aller en Scandinavie, n’hésite pas, ça vaut le coup!
Ces paysages où la mer fume sont absolument subliment! Je comprend la force de tes sentiments lorsque tu étais sur les lieux. Un océan qui se glace à perte de vue et cette douce fumée. je voudrais bien les voir!
Je n’aurais jamais pensé que ce spectacle me toucherait autant. Les émotions sont parfois imprévisibles. Cela restera un grand moment de 2013. J’en ai vécu un autre un peu semblable en Birmanie. Faudra que je vous raconte…
Ca doit être une très, très belle expérience … en dehors du fait que le paysage est sublime, l’appréhension semble bien présente. Ton récit est captivant, merci de l’avoir partagé avec nous.
C’est vrai que sans être angoissée, je n’étais pas rassurée du tout. C’était très impressionnant. Les gars qui pilotent ces bateaux connaissent bien leur job et la topographie des lieux, heureusement!
Quelle chance d’avoir voyagé dans des contrées si lointaines et dépaysantes! Bon, il faut surmonter l’horreur du froid et s’emmitoufler mais avec un bon matériel (et vêtements) cela doit être merveilleux! La dernière image avec la coque bleue et rouge est vraiment très réussie!
Parfois, quand il fait très froid, le lac près de chez moi fume également. Mais cela va être le matin, au moment le plus froid de la journée.
Mais comme avec le boulot, je me lève souvent bien tôt, j’avoue que le weekend, je ne suis pas toujours d’attaque pour aller y faire des images!!!
Comme je te comprends, le w-e j’ai aussi beaucoup de peine à sortir du lit s’il fait froid. Mais durant ces vacances dans le Nord, j’étais tous les jours levée très tôt de peur de manquer quelque chose. Une semaine c’est court, il fallait en profiter. Et comme en plus, je me couchais tard à cause de ces fichues aurores boréales qui m’ont joué bien des tours, j’ai fini mes vacances un peu crevée 😉
Un paysage magique et surprenant
Merci pour cette émotion
Ravie que le voyage t’aie plus et non moins ravie de te relire ici 🙂
un article intéressant sur l’avenir de Kirkenes et des risques de la voie maritime du nord en cas de problèmes!
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/33d4d9ba-f7a5-11e2-a3d7-767ba9a9f6b9%7C0
Vous reprendrez bien un glaçon dans votre apéritif ?
Un grand merci pour ce très bon article (du coup je me suis inscrite sur le site du Temps, ce qui est une bonne chose). Les risques pour l’environnement sont bien réels et comme je l’ai écrit à Dominique, ça fait peur…. Santé quand même !
C’est époustouflant; j’en ai le souffle coupé ! je sens bien le froid en lisant ton billet… Pour les images, j’aime beaucoup la première; posée sur la rambarde, cette perspective et la doudoune rouge : j’aime bien cette composition. Et aussi la dernière avec le bateau et tous ces morceaux de glace sur l’eau ! Merci de m’avoir transportée dans ce voyage d’un soir… Bye
On était pas nombreux à la proue, la doudoune rouge fut la bienvenue pour animer mon image 😉 Contente de t’avoir fait voyager.
On a l’impression d’y être tellement tu retranscris de façon juste ce que tu as ressenti pendant cette traversée. Cela devait être vraiment impressionnant, et tes photos montrent bien toute l’hostilité et la beauté de cet environnement. C’est vrai que face à la nature nous sommes bien peu de choses finalement, parfois cela nous fait du bien d’être remis à notre juste place.
Je n’avais jamais entendu parler de ce phénomène de fumée de la mer arctique, grâce à toi j’ai encore appris quelque chose., c’est vraiment étonnant!
Tu as été courageuse d’affronter ce froid plus que glacial! Merci pour ce bel article. Bonne semaine à toi!
J’ai pris du plaisir à écrire ce texte et à revivre cette traversée. Ceci dit, j’aurais peut-être du dire un mot des matelots qui travaillent sur cette ligne maritime et qui eux sont constamment exposés à la morsure du froid. Ils sont très bien équipés mais malgré tout ce ne doit pas être rose tout les jours. Quand j’avais trop froid je retournais bien au chaud dans les salons du paquebot…
Ça me rappelle bcp le Groenland, mais je n’ai pas vu la mer fumer ainsi ! C’est magique !!
Mais entendre la glace se briser au fur et à mesure de notre avancée est mémorable !
J’aime bcp la dernière photo, je me répète mais c’est dommage d’être obligé de cliquer pour voir la photo en format plus grand… format nécessaire pour apprécier à son juste prix la qualité de tes photos !
Tu a vraiment beaucoup bourlingué Evelyne! Pour l’affichage des photos, pour le moment, il faut malheureusement s’en satisfaire. On finira bien par trouver la solution….
C’est quelque chose que je ne verrai jamais, alors un merci tout particulier pour ces images et ces explications… Je dois reconnaître que c’est splendide.
C’est merveilleux, j’en reste bouche bée, quelle expérience magnifique. Merci de partager ces si beaux moments et surtouts ces photos splendides. Je rêve de visiter la Scandinavie, les paysages blancs, le froid qui nous rappelle douloureusement qu’on est vivant. Et comme tu le dis si bien, prendre conscience du fragile équilibre qu’est celui de la nature et du fait qu’on est si petit dans ce monde si vaste. Magnifique!
J’écris un blog sur ma vie d’étrangère en Espagne, ca serait génial si tu pouvais passer y faire un tour et me donner ton avis 🙂 Merci d’avance et bonne continuation pour ton blog!
http://journeyofalonelybird.blogspot.com.es/
J’admire tes photos, je t’avoue que cela me fait rêver mais définitivement je sais que c’est un périple que je ne ferais jamais.
De manière différente au niveau des paysages , Cela me rappelle la Bolivie ou il faisait bien moins froid mais quand même des temperatures négatives… J’y ai vu surement les plus beaux paysages sur l’ensemble de mes voyages mais le froid a vraiment alteré le ressenti que j’avais de ce pays. Et je sais que je n’y retournerais pas …
bonjour, je débarque à un peine d’un surf à voile, le début de votre parcours m’a fortement intéressé puis la suite aussi et votre cryptique photographique m’a plus.
Moi ce dont j(ai peur, c’est de ne plus avoir d’eau dans mon congèle pour mes drink et mes amis.
de la pluie oui à l’infini, de l’ennuie non plus jamais car cela sera fini.
la plume de l’auteur de ce texte raconte de drôles de fabulâmes!
merci je me suis régalé ce matin.
JORGE
le paquebot est joliment amarré, la photographie que je préféré, aussi si les matelots sont bien équipés, est ce que les salons sont ils bien acclimatées et ajouréees
Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris… L’Express côtier n’est pas un navire de croisière luxueux mais il est équipé de tout le confort moderne. Les salons sont confortables et bénéficient de larges baies vitrées qui permettent d’admirer le paysage bien au chaud. J’espère avoir répondu correctement à ta question. Merci de ta visite 🙂
tes mots sont magiques et tes photos magnifiques avec un effet surréaliste. J’aime vraiment beaucoup tes séries du nord et je dois dire qu’encore maintenant je t’envie d’avoir fait un si beau voyage. Merci de nous faire rêver à travers tes images et tes textes
[…] de l’histoire est de l’ordre de celle vécue en Laponie lorsque j’ai vu la mer de Barents se figer sous l’effet du froid ou dans les Cyclades, lorsque notre bateau est entré dans la caldeira de Santorin. Alors même […]