Les jardins du lac Inle

Dans Birmanie un billet écrit par Christine le 18 février 2014

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Nous poursuivons notre balade sur le lac Inle. Au milieu de la troupe des pêcheurs acrobates, nous remarquons des hommes chargeant leurs barques de boue ramassée au fond du lac au moyen de longues perches. Mais qu’en font-ils donc? La réponse à nos interrogations ne tarde pas. A peine avons-nous quitté le spot de pêche que déjà notre pirogue s’enfonce dans une sorte de canal bordé d’une luxuriante végétation, hérissée d’une forêt de tiges de bambous.

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Nous nous étonnons de voir les plantations onduler sous l’effet des remous créés par le passage de l’embarcation. C’est que nous ne sommes pas dans un canal mais bien sur le lac au milieu de véritables îles flottantes sur lesquelles s’affairent hommes, femmes et enfants. Ici l’un nettoie la végétation à la machette, là un autre attache des cultures à leurs tuteurs. Plus loin, des femmes récoltent des légumes. Où que l’on regarde, il se passe quelque chose dans une quiétude à peine perturbée par le clapotis de l’eau au passage d’une barque.

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Lorsque les Inthas sont arrivés dans le coin au 12ème ou au 14ème siècle, les terres et les montagnes aux alentours étaient déjà occupées par les tribus Shan. Les nouveaux venus n’ont donc eu d’autre choix que de construire leurs villages sur le lac même. Et pour survivre, ils ont eu l’idée plutôt géniale de créer des jardins flottants. Pour cela ils découpent à la scie les masses de débris végétaux et de sédiments qui se sont accumulés sur les berges du lac en de grandes bandes qu’ils achètent à l’Etat et les remorquent jusqu’à leur maison pour les cultiver.

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Ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter fabriquent eux-mêmes leur île flottante avec des herbes et des roseaux tressés. Les jardins sont ancrés au fond du lac au moyen de perches en bambous ou attachés aux pilotis des maisons, puis sont recouverts de limon (ramassé au fond du lac) en quantité assez réduite pour éviter que l’ensemble ne coule. Sur ces potagers, les maraîchers font pousser toutes sortes de fruits et légumes (culture hydroponique).

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Ce « sol » artificiel est tellement fertile que durant quelques mois de l’année, le lac Inle approvisionne quasi tout le pays en tomates.

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Toute la vie des Inthas se déroule sur l’eau. Même les animaux sont élevés dans des écuries sur pilotis.

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Malheureusement, ces jardins extraordinaires, aussi photogéniques soient-ils, constituent l’un des facteurs de menace de l’existence même du lac. Ils gagnent du terrain et couvrent une grande partie des zones proches du rivage. Ils mettent en outre à rude épreuve le fragile écosystème du lac. Espérant augmenter leur rendement, de nombreux paysans utilisent des engrais chimiques qui finissent dans l’eau. Quant aux jacinthes d’eaux, utilisées pour créer ces jardins, elles sont, en raison de leur croissance exponentielle, un véritable fléau. La densité démographique, la croissance rapide du tourisme et de l’agriculture aux alentours sont également responsables de la diminution alarmante de la surface du lac. On compte désormais plus d’une dizaine de grands hôtels autour du lac, alors qu’il n’y en avait encore que deux dans la région au milieu des années 1990. Les infrastructures de traitement des déchets et des eaux usées demeurent quant à elles insuffisantes. Selon une étude des Nations unies pour l’environnement, si la tendance se poursuit, le lac pourrait bien avoir disparu d’ici dix ou vingt ans !

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48 Responses to “Les jardins du lac Inle”

  1. Nathalie dit :

    Très intéressantes ces cultures! je trouve très réussi le portrait de cet homme avec son chapeau avec son noeud rose sous le menton et l’oiseau dans le fond (3è image), ainsi que celle avec le petit garçon au 1er plan, en contre-plongée (5è image), qui conduit sa barque! merci

    • dominique dit :

      Bonjour, j’aime beaucoup ce reportage, et les photos qui vont avec. C’est bien fait.. J’aime. Je ne sais pas si c’est une caractéristique des gens là bas ou le talent de la photographe, mais ils semblent très à l’aise devant l’objectif..

      • Christine dit :

        Les asiatiques en général sont à l’aise avec l’objectif. Les Inthas n’étaient pas du tout farouches, par contre, dans la région, les tribus Pa O sont nettement moins coopérantes avec les photographes et souvent demandent à être payées. Je n’ai donc pas pris de photo de Pa O…

    • Christine dit :

      Merci Nathalie. Pour prendre la photo du petit garçon en contre-plongée, j’ai une fois de plus dangereusement fait tanguer notre pirogue. Pas facile de se contorsionner sur ces engins 😉

  2. Cécile dit :

    Un texte vivant et très intéressant, comme toujours. J’adore les deux premières photos: on dirait des danseurs, d’autant plus en écho avec le précédent article sur ce lac! Un régal… Je finis un roman lapon où il a été évoqué des lieux que tu nous as fais découvrir, je me demande si je ne vais pas rechercher un livre birman… 😀

    • Christine dit :

      SI tu trouves un bon roman sur la Birmanie, n’hésite pas à me le signaler. Durant mon voyage, j’ai lu « une histoire birmane » de George Orwell qu’un petit marchand a absolument voulu me vendre. Il décrit bien la période colonialiste mais précisément parce que l’histoire se déroule à une époque où les colons étaient particulièrement infâmes avec les autochtones, j’ai moyennement aimé.

  3. Anne Jutras dit :

    Bonjour Christine,

    On se délecte, comme toujours, de ces images exotiques et de ces pêcheurs acrobates. Mais en lisant ton texte, on se rend compte que la beauté des lieux est menacée, quel dommage. Des hommes essaient de survivre et la nature aussi. Ça serait triste de voir disparaître ce lac. Espérons qu’ils trouverons une solution…

    Bisous et belle soirée à toi! xx

    • Christine dit :

      Ce lieu a longtemps été protégé car inaccessible au tourisme de masse et au progrès, mais aujourd’hui c’est une destination très prisée des touristes avec toutes les conséquences que cela implique. Même si lentement, les birmans commencent à prendre la mesure de la situation, elle est très préoccupante effectivement. Merci de ta visite Anne.

  4. AniLouve dit :

    C’est époustouflant de beauté. Merci pour ce superbe reportage.
    L’ingéniosité de l’homme est sans limite mais parfois, c’est un apprenti sorcier. Difficile de faire la part entre les besoins immédiats et un futur hypothéqué.

    • Christine dit :

      Apprenti sorcier, c’est exactement cela. L’équation entre l’ouverture et la préservation de ce patrimoine unique est très difficile, voire impossible à résoudre. Je suis heureuse que ces photos te plaisent.

  5. jorge dit :

    bonjour Christine,
    je suis d’accord avec anne jutras, il serait vraiment regrettable et désastreux pour nous tous, humains, que ce lac disparaissent et c’est malheureusement inéducable qu’il soit, il faudrai que l’homme raisonne plus qu’il ne façonne.
    Mes Préférences vont pour les deux remarquables photographies que vont avez faites, une sure! trois et sept (des deux enfant avec une préference pour la sept) et j’ai mal pour vous pour la deux, elle aurait été tout autant magnifique.
    beau beau reportage! bravo

  6. jorge dit :

    veuillez me faire pardonner, j’ai pas relu mes fautes. Les dernières couleurs sont magnifiques.

    • Christine dit :

      Pas de problème pour les fautes 😉 J’espère que la disparition de ce lac n’est pas inéluctable… Je suis heureuse que ces photos te plaisent mais je ne comprends pas pourquoi la 2ème devrait me faire mal ???

  7. ronan dit :

    ce mode de vie donne lieu à des scènes réellement très photogéniques, la dernière est excellente. L’oeil de la photographe y est pour quelquechose, bien évidemment 😉
    Je ne suis pas très surpris que tu finisses par évoquer la problématique des intrants et des plantes invasives, ça sentait le coup fourré dès que tu as dit que le lac pouvait produire suffisamment de tomates pour le pays : production de masse, dommages de masse, et qui seront très certainement durables dans le temps,. Malheureusement tu as peut-être fait des photos d’archive…

    • Christine dit :

      Arghhh… j’aurais bien aimé ne pas couper le reflet coloré du bâtiment sur la dernière photo, elle aurait été bien meilleure mais cette fichue pirogue ne voulait pas obéir 😉 Photos d’archive.. le terme m’inquiète vraiment. Je ne l’espère pas,. J’aimerais que d’autres, mes enfants notamment, aient aussi la chance de pouvoir admirer cette merveille et je veux croire que l’homme n’est pas un animal si nuisible qu’il ne fasse rien pour empêcher un tel désastre. Je suis peut-être trop naïve…

  8. Aurore dit :

    Les couleurs sont époustouflantes et j’aime tes cadrages (notamment la troisième mais pas que) style reportage.Merci pour le récit !

  9. Pastelle dit :

    Les photos, les lumières et les couleurs sont magnifiques, je suis totalement sous le charme.
    Et merci aussi pour les explications…

    • Christine dit :

      C’est dommage que la longueur du voyage en avion freine ton envie de visiter ce pays. Je suis sûre que tu te régalerais aussi avec ton appareil.

  10. Laurence Chellali dit :

    A lire tes explications, ton reportage a du coup un goût d’amertume. Les écosystèmes, ce n’est pas une découverte, sont tellement fragiles que dès lors qu’il y a un déséquilibre dans leur fonctionnement les voilà menacés, et très sérieusement. Ce sont toujours des questions très compliquées à gérer car entre impératifs démographiques et économiques et impératifs environnementaux nous n’avons pas encore trouvé la solution adéquate. J’espère que ce ne sont pas des photos d’archives que tu nous montres là et que d’ici là le pays aura trouvé un système intermédiaire qui allie préservation de l’environnement et préservation des modes de vie humains.

    • Christine dit :

      Il n’est pas encore trop tard pour agir, je crois, mais le gouvernement de ce pays aura-t-il réellement la volonté et les moyens de faire quelque chose, rien n’est moins sûr. Tu saisis très bien mon sentiment. Ce lieu est tellement extraordinaire, apaisant, que se dire qu’il risque de disparaître me révolte. L’homme a su développer des trésors d’ingéniosité pour s’adapter à son environnement, espérons qu’il saura mettre autant d’énergie à le préserver…

  11. Marie dit :

    Déjà attirée par cette destination, je suis complètement séduite. Les qualités de ton reportage (beaux cadrages, récit, lumières ….) y sont pour beaucoup.
    Bonne journée Christine.

  12. Il y a des centaines de sites comme celui là menacés, j’espère que l’homme saura préserver ces trésors. Sinon, il règne une sérénité hors du commun sur toutes ces photos, un peu comme si vous aviez fait une visite privée. C’est un endroit peu fréquenté ? Vous vous êtes levés aux aurores ? Tu as merveilleusement bien géré tes photos ? (les 3 peut-être ?).
    En tout cas, tous tes billets me motivent pour préparer notre périple de 2015 !! Bonne fin de semaine.

    • Christine dit :

      Le lac Inle est après Bagan (dont je parlerai encore) la seconde destination la plus courue en Birmanie. Il y a de plus en plus de touristes mais comme je l’ai écrit dans un précédent billet, nous avons eu la chance que notre guide nous emmène dans une partie du lac peu fréquentée. Ce matin-là, nous n’y avons pas croisé d’autres pirogue de touristes. Nous ne nous sommes pas levés excessivement tôt et sommes partis de l’hôtel à 9h. Durant tout notre voyage, nous avons été accompagnés par une guide privée, birmane parlant très bien le français, ce qui était vraiment très agréable. En plus elle était vraiment très sympa. Si tu organises un voyage dans ce pays, il vaut mieux se renseigner pour ne pas recourir à des organismes soutenus par la junte militaire au pouvoir. Je suis sûre que tu auras beaucoup de plaisir, c’est vraiment incroyablement dépaysant comme destination (mais pas de tout repos..) Bonne fin de semaine à toi aussi.

  13. Polina dit :

    Tant d’endroits menacés alors qu’ils sont à couper le souffle. Ces clichés sont merveilleux, de vrais bijoux qui font pétiller la rétine 😉 !

  14. thursday dit :

    Une jolie suite à ton reportage!
    C’est étonnant ces îles flottantes dont certaines fabriquées de toute pièce en herbe et en roseaux!
    Ces photos témoignent d’un endroit qui n’existera alors peut-être plus d’ici 10 ans si le lac vient à disparaître…

    • Christine dit :

      Il existera toujours mais d’ici quelques années, on risque de le parcourir à pied, en vélo ou en moto et non plus en barque, ce qui avouons-le serait nettement moins envoûtant…. Allez positivons et essayons de croire au miracle.

  15. Votre blog est une belle découverte, vos photos sont magnifiques. Merci de nous montrer des endroits encore peu courus. À bientôt

  16. Françoise dit :

    très interessant! j’espère qu’ils arriveront à préserver le lac. il semble magique et l’ensembe est tellement magique et beau.

  17. Ils sont impressionnants ces enfants en équilibre sur la barque!
    A la lecture de ton texte nous constatons que la question de l’agriculture intensive se pose aux quatre coins de la planète. Toujours plus et toujours plus vite. Parfois on peut douter qu’il y ait un changement un jour.

    • Christine dit :

      Les enfants sont nés sur l’eau et vivent quotidiennement avec elle, d’où leur aisance mais c’est vrai que de les voir en équilibre sur ces coquilles de noix reste impressionnant. Quant à l’agriculture extensive, il y a de quoi s’inquiéter…

  18. Pancho dit :

    Très beau reportage et les photos sont splendides. J’adore ces teintes légèrement acidulées. J’aime beaucoup la photo du petit bonhomme qui naviguent sûrement déjà depuis longtemps. Merci pour ce beau partage

    • Christine dit :

      Merci Pancho. J’ai encore des choses à dire et à montrer concernant les petits Birmans qui m’ont impressionnée à plus d’un égard…

  19. Gine dit :

    Je découvre et je suis charmée… Tout est si calme, et semble pouvoir durer longtemps, malgré les menaces agricoles et touristiques! Cet endroit me rappelle le village de Ganvié au Bénin, où les habitants vivement également sur l’eau. L’ambiance y est là aussi hors du temps!
    De très belles images!

    • Christine dit :

      L’eau apaise et gomme le temps… Où que ce soit dans le monde, les villages lacustres et les modes de vie de leurs habitants me fascinent. Je ne connais pas l’Afrique et rêverais de voir un tel village. Merci pour ton comm. Gine.

  20. Polina dit :

    Je crois que je vais revenir ici tous les jours pour illuminer mes yeux par tant de beauté…

  21. J’ai l’impression de voyager à tes côtés sur ce lac grâce à tes magnifiques photos.

  22. […] Christine Keller ramène de belles images de ses voyages comme celles-ci, prises sur le lac Inle en Birmanie. […]

  23. Furax dit :

    Il va falloir que j’aille y faire un tour de ce côté !! 🙂
    C’est très beau !

  24. Véro dit :

    Ce lieu est décidément très photogénique, les attitudes (que tu as bien su capter), les vêtements etc … également. Croisons les doigts pour que cet oasis ne s’autodétruise pas …

  25. Isa dit :

    Encore de très belles photos ! On ressent bien le calme et la zenitude dans toutes ces actes du quotidien ….

  26. haude dit :

    J’avais déjà entendu cela…. l’ombre s’agrandit.
    J’espère qu’une solution sera trouvée, pour que ces populations puissent continuer à vivre ainsi.
    Merci pour ce reportage très intéressant.
    bonne fin de semaine, @ bientôt Haude

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