Timadrouine – Le fil

Dans Maroc un billet écrit par Christine le 8 juin 2015

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Timadrouine
Il y a des noms que j’aime prononcer tout haut, des noms sur la sonorité desquels mon âme vagabonde se plaît à surfer et à s’évader.

Timadrouine
En préparant cette escapade dans le sud marocain, je me l’étais répété plusieurs fois tout en tricotant mentalement autour de ces quatre syllabes le paysage qui allait avec.

Timadrouine
La réalité s’est révélée bien différente de mes élucubrations mais elle n’en a pas été moins intéressante pour autant .

Situé au pied de l’Atlas, entre les gorges du Dades et du  Todra, sur la route reliant Ouarzazate à Merzouga, Timadrouine surgit au milieu de nulle part, dans un paysage désertique tout de roche et de terre ocre. Point de rivière, ni de végétation luxuriante, point de kasbah spectaculaire comme je me l’étais imaginée, mais un village d’apparence austère qui marie bâtisses en pisé sur le déclin et constructions en ciment inachevées. Arrivés en soirée après une journée généreusement kilométrées, mes amis et moi avons passé la nuit dans le seul riad du village. Ne payant pas de mine au premier abord, il s’est avéré être un vrai havre de calme et de raffinement une fois la lourde porte franchie. Après une nuit réparatrice, j’ai laissé mes compères profiter du confort de leur chambre pour savourer les premières lueurs du jour et partir à la découverte de cette étrange agglomération.

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Dans les ruelles de terre encore désertes, j’ai erré au hasard à la recherche d’un point de vue intéressant. La chaude lumière baignant les murs de terre et magnifiant les couleurs, je me disais que je devrais bien arriver à faire quelques belles images. Mais j’ai eu beau m’évertuer à soigner mes compositions, où que je dirige mon objectif, un ou des câbles s’invitaient invariablement dans mon cadre. Je me contorsionnais, m’accroupissais, me surélevais mais rien n’y faisait. Ces foutus fils étaient toujours là! Il y en avait partout.  Après moult essais, je pestais et  râlais jusqu’à ce que me vienne l’idée de prendre le problème dans l’autre sens. J’allais faire de ces câbles mes alliés.

Timadrouine s’éveille, suivez le fil!

(vous pouvez cliquer sur la première miniature pour la voir en grand et faire défiler les images suivantes)

 

Contrairement à  ce que peuvent laisser croire ces rues peu fréquentées et à ce que je pensais au moment de prendre ces photos, ce village est bien peuplé. A raison d’en moyenne 12 personnes par maison, Timadrouine totalise un peu plus de 2500 habitants. Tous sont résidents à l’année contrairement à certaines agglomérations de la région qui recensent encore des grottes pour les nomades troglodytes. Les Berbères de Timadrouine, de la grande tribu des Ait Atta, ont donné beaucoup de fil (encore !!!) à retordre aux Français qui ne sont parvenus à conquérir cette région qu’en 1937, soit plus de 20 ans après la colonisation de la majorité du Maroc.

Sous le minaret de la mosquée, le moderne côtoie l’ancien.  Mais les vieilles kasbahs en pisé (terre argileuse mélangée ou pas à d’autres matériaux comme de la paille) ne sont plus que les ombres d’elles-même. Les outrages du temps, la pluie (même très rare) et le manque d’entretien ont fait leur oeuvre. Parpaing et ciment qui ont les faveurs de la génération actuelle ne sont toutefois pas les seuls responsables de leur décrépitude. Les conflits successoraux jouent un rôle non négligeable dans toute cette histoire. Les familles étant nombreuses, les héritiers d’une kasbah ne parviennent souvent pas à se mettre d’accord sur les sommes à verser pour conserver l’immeuble en état. Par ailleurs, un seul d’entre eux n’a pas les moyens de racheter leur part aux autres, chacun exigeant l’équivalent du prix d’une maison en ciment. Dans une telle configuration, les prix deviennent  totalement dissuasifs même pour des étrangers qui souhaiteraient acquérir une de ces anciennes bâtisses pour en faire une maison d’hôtes. Les demeures traditionnelles s’effacent donc peu à peu du paysage remplacées par des constructions certes contemporaines mais largement inachevées. Rares sont les murs qui ne sont pas hérissés des fers à béton (vous vous souvenez certainement de ce billet). Selon les explications que j’ai pu obtenir, seuls les Marocains travaillant en Europe ont les moyens de construire des maisons en ciment mais très souvent ils abandonnent leur projet après avoir constaté que le maître d’oeuvre a surfacturé les travaux.

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Le niveau de vie dans ce village, comme dans beaucoup d’autre, est très modeste. Un couple et leurs 7 enfants vivent avec environ moins de 2€/jour. Ils se nourrissent des légumes et de céréales cultivés dans leurs jardins, de pain et d’huile confectionnés par leurs soins. La viande ne figure que rarement, et encore en quantité infime, au menu de la plupart des habitants. La plupart des hommes vont travailler dans les grandes villes comme Marrakech et Casablanca, d’autres sont engagés à la mine d’argent située à 6 km de là. Chaque famille possède deux ou trois moutons qu’elle pourra vendre en cas de coup dur pour avoir des liquidités mais c’est l’argent envoyé par des membres de la famille établis  l’étranger qui améliore grandement leur quotidien. On m’a cité l’exemple d’un homme qui a ainsi pu s’acheter une petite voiture et faire le taxi entre Timadrouine et Tinghir. Les enfants fréquent l’école maternelle et primaire à Timadrouine. Deux bus, dont l’achat a été financé l’un par le propriétaire du riad, l’autre par la société exploitant la mine d’argent, permettent aux étudiants de se rendre  au collège et au lycée à Tinghir à une vingtaine de kilomètre de là. Cette année, 49 jeunes (dont 12 filles) poursuivent leurs études au niveau secondaire et supérieur.

 Quant à l’électricité, j’ai appris qu’elle est installée depuis environ 25 ans mais que malheureusement la plupart des gens n’ont pas les moyens d’être branchés. On se demande vraiment à quoi servent tous ces fils!!!

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Vue sur le Djebel Soghra depuis la terrasse du Riad. Oui, oui, regardez bien, le fil est toujours là!

Un grand merci à Philippe du Riad Timadrouine qui a aimablement répondu à toutes mes questions. Pour une escale authentique et confortable dans le sud marocain, je ne peux que vous recommander cette adresse.

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37 Responses to “Timadrouine – Le fil”

  1. Marie-Lise dit :

    Très belle série ! Bel effet graphique des fils. On se laisse promener d’un bout à l’autre du village très agréablement.

    • Christine dit :

      Merci Marie-Lise et bienvenue ici 🙂 ll ne me semble pas t’avoir lue auparavant. Une fois le sujet trouvé, j »ai beaucoup aimé exploiter l’aspect graphique créé par ces fils, tout en essayant d’éviter l’écueil des photos trop semblables. Un editing sérieux a été nécessaire pour que la série ne soit pas répétitive et ennuyeuse.

  2. Marie dit :

    Belle série graphique, aux cadrages très soignés. J’aime la progression de la lumière sur tes images et le « fil » conducteur de ton billet …

    • Christine dit :

      Bonjour Marie, pas de photos volées ici. J’étais seule et ai pris tout le temps de soigner mes cadrages. Si j’avais été accompagnée, je n’aurais jamais pu faire une telle série . Et pour la lumière, oui, même si c’est un peu difficile de se pousser hors du lit tôt le matin, ça vaut vraiment le coup pour les photos 😉

  3. Donlope dit :

    J’aime ton point de vue et la façon de tourner l’article, ça en fait une série très cohérente qui offre une autre vision!

    • Christine dit :

      J’ai été tellement frustrée à Marrakech de ne pouvoir faire des photos comme j’en avais envie que sur ce coup-là, j’avais vraiment envie de prendre le temps et de trouver un point de vue différent. Je suis contente que cette série te plaise.

  4. Anne dit :

    Joli fil narratif 😉
    La photo 14 est sublime!

  5. Un voyage tout en contraste, entre le passé et la modernité, symbolisée par ces fameux fils et la photo 13 avec les deux personnes consultant leurs portables.
    Vos photos sont magnifiques et explicites !

    • Christine dit :

      Je ne crois pas que l’homme en Djellabah consulte un portable en fait mais je trouvais intéressant le parallélisme des attitudes et le contraste entre les tenues des deux hommes. Merci de votre fidélité Mesdames!

  6. Lannic dit :

    En ville qu’elle soit petite comme à Timadrouine ou grande comme par exemple Paris, , ce ne sont malheureusement pas les éléments disgracieux qui manquent dans le paysage urbain.
    La solution que tu as retenue peut-être une bonne solution comme ici mais je ne suis pas persuadé que cela fonctionne partout.
    Quoi qu’il en soit, j’ai bien aimé ta façon de nous faire découvrir cette petite ville lorsque le soleil se lève.
    J’aime tout particulièrement celle avec le chien et aussi l’avant dernière avec le jeune homme à casquette et celui en djellaba.

    • Christine dit :

      En photo, il n’y a pas de recette toute faite, c’est vrai. Chaque lieu contient des ingrédients qu’il convient de mettre en sauce de manière différente et selon son propre goût. Je trouverais intéressant de découvrir la vision de cette agglomération d’un autre photographe… Merci de ta visite Lannic

  7. C’est vrai qu’il y en avait partout, mais ça fait très graphique au final.

  8. ronan dit :

    voyage voyage, et sympathique reportage.
    Elles sont chouettes tes photos prises à la fraîche ; j »ai cru y déceler comme un ‘fil’ conducteur 😉

  9. haude dit :

    Tu as trouvé la bonne solution.
    Je lis toujours des billets avec beaucoup de plaisir.
    bonne fin de semaine, @ bientôt Haude

  10. Pastelle dit :

    Qu’est ce que j’ai pu pester contre ces fichus fils ! Autant faire comme toi contre mauvaise fortune bon coeur et les intégrer dans le paysage, et leur faire jouer le rôle de fil rouge dans une série joliment cohérente. La lumière est jolie, on est toujours récompensé de se lever tôt. 🙂

    • Christine dit :

      Je ne vais pas dire que je me suis levée sans peine mais j’avais tellement envie d’avoir un moment à consacrer à la photo, sans embêter tout le groupe, que ça m’a boostée. Et c’est vrai que la lumière était magique!

  11. Gine dit :

    Au-delà des fils inévitables et pourtant graphiques, je retiens la lumière… Une idée géniale de sortir le matin, avant tout le monde. La photo du chien et de son ombre est pour moi la représentation totale du dépaysement rêvé qui me pousse au voyage! Merci, c’est beau et émouvant!

    • Christine dit :

      Ah ce chien, il était providentiel. Je suis restée de longues minutes face à ce mur à attendre que quelque chose se passe pour réveiller ma photo. Je pensais à un oiseau, ou un habitant un peu plus matinal et pas trop timide et c’est ce toutou tout jaune qui a surgit tout à coup. Je n’ai pas hésité à déclencher!

  12. Ben voilà, au lieu de passer des heures à photoshopper (effacer) ces fils, autant en faire BON usage.

    Bravo pour toute ta série que j’avais pris le temps de regarder quand elle est sortie sur ton blog mais que je n’avais pas commentée…. BRAVO Christine!

    • Christine dit :

      J’essaie d’éviter au maximum le « phtoshopagpage » et ici ça le boulot aurait été titanesque et je ne suis pas sûre que mes photos auraient eu à y gagner grand chos;-) Merci de tout coeur d’avoir pris la peine de revenir laisser un petit mot sur cette série. C’est vraiment super d’avoir des lecteurs/trices aussi motivants. Merci Chrys!

  13. Isa dit :

    Beaucoup de plaisir à découvrir ce billet. Joli texte et toutes ces photos que j’ai faites défiler sans perdre le fil, chacune a son charme et la dernière cloture magistralement le tout. Merci Christine et à bientôt !

    • Christine dit :

      Tu sais Isa,, pour être franche la dernière photo je ne l’avais pas pensée pour être intégrée à cette série. A la prise de vue, je ne me souviens même pas avoir vu le fil, Ce n’est qu’en découvrant l’image sur mon écran que je l’ai découvert…

  14. Bonjour,
    J’aime beaucoup la 13. Elle me parle. Ces deux bonshommes, la tête pareillement penchée,, l’un sur son iphone et l’autre sur je ne sais quoi, c’est étonnant.

  15. AniLouve dit :

    Des couleurs douces pour cette heure matinale, avant que le soleil n’écrase la ville.

  16. Magnifique reportage !

    Qui me fait penser à mon périple dans le désert blanc et en particulier à cette photographie :
    https://flic.kr/p/7C5hxy

    • Christine dit :

      Merci Nicolas. Ah oui, elle est très chouette ta photo, c’est fou le genre de truc qu’on peut trouver dans le désert! Elle s’inscrirait bien dans ma série;-)

  17. marie dit :

    un régal de couleurs chaudes et de simplicité, j’adore !

  18. […] de nostalgie les photos de ce séjour dont certaines ont fait l’objet de quelques billets (ici, là, là et ici). D’autres par contre gisaient encore inexploitées dans mon ordi. […]

  19. Saïd dit :

    Merci pour ce recit tres jolie. Je suis originaire de ce village et je le redecouvre d’une autre manière avec vous « Timadrouine-le fil » j’aime bien

    • Christine dit :

      Bonjour Saïd,
      Votre commentaire me fait particulièrement plaisir. Je suis vraiment très heureuse que ma série photographique retienne l’attention d’une personne originaire de ce village!

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